Le Canada redéfinit ses relations avec le continent asiatique

Prendre ses distances d’avec la Chine et développer ses relations avec des pays comme l’Inde, le Japon, l’Indonésie, la Corée du Sud et Taïwan. Le Canada revoit sa politique sur le continent asiatique. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a présenté le 27 novembre la nouvelle stratégie militaro-commerciale du Canada dans la région indopacifique.

« Notre objectif est d’être non seulement fermes, mais de défendre nos intérêts nationaux. Donc, on ne sera jamais, on n’aura jamais à s’excuser pour défendre notre intérêt national. Et maintenant on a un cadre clair, un cadre transparent », a déclaré Mélanie Joly en présentant cette nouvelle politique.

La stratégie canadienne sur le continent asiatique va se traduire par un investissement de 2,3 milliards de dollars pour les cinq prochaines années, soit près de 500 millions par an, afin d’augmenter la présence militaire et navale du Canada dans la région et développer les liens commerciaux avec les pays démocratiques et alliés du continent. Par exemple, dès 2023, trois frégates canadiennes navigueront dans l’Océan Indien, il y en a deux actuellement. Des discussions sont aussi en cours pour conclure un accord commercial avec l’Inde et avec Taïwan, ce qui ne devrait pas plaire à Pékin.

Le Canada veut notamment diversifier et sécuriser sa chaine d’approvisionnement dont la fragilité s’est révélée lors de la pandémie, avec une trop grande dépendance envers la Chine notamment. L’objectif est aussi d’augmenter la présence diplomatique canadienne dans les pays asiatiques alliés. Justin Trudeau revient justement d’une tournée diplomatique importante sur le continent asiatique, avec le sommet des dirigeants de l’Associations des nations de l’Asie du Sud-Est au Cambodge, la rencontre du G20 en Indonésie et le forum de la Coopération économique de la zone Asie-Pacifique qui s’est tenu en Thaïlande.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau reçu par le président indonésien Joko Widodo, le 15 novembre 2022 à Nusa Dua (Indonésie).

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau reçu par le président indonésien Joko Widodo, le 15 novembre 2022 à Nusa Dua (Indonésie).

© Kevin Lamarque/Pool via AP

Guy Saint-Jacques a été consulté par le gouvernement canadien dans la dernière phase d’élaboration de cette stratégie en tant qu’ancien ambassadeur du Canada en Chine : « Je suis très satisfait, pour qu’une stratégie soit prise au sérieux, elle devait être complète, qu’elle parle de sécurité, de questions militaires, de développement, d’environnement et de commerce et ce sont les cinq objectifs énoncés par rapport à cette politique ».
L’ex-ambassadeur estime aussi que le gouvernement canadien s’est donné les moyens de ses ambitions en allouant 2,3 milliards de dollars à la mise en place de cette nouvelle stratégie. Par exemple l’ajout de personnel sur le plan diplomatique, l’augmentation du nombre de délégués commerciaux dans plusieurs pays asiatiques vont aider les gens d’affaires à développer de nouveaux marchés ailleurs qu’en Chine, à réduire leur dépendance au marché chinois.

Les cinq objectifs de la stratégie indopacifique du Canada

  • Promouvoir la paix et la sécurité dans la région;
  • Améliorer le commerce, l’investissement et les chaînes d’approvisionnement;
  • Investir dans les liens entre nos peuples respectifs et continuer de défendre les droits de la personne;
  • Soutenir la lutte contre les changements climatiques;
  • Approfondir les relations du Canada dans la région.

La Chine, une puissance « de plus en plus perturbatrice« 

Le plan canadien qualifie la Chine de « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice » qui profite « des mêmes règles internationales dont elle fait fi de plus en plus souvent ».

La ministre Joly l’a aussi dit lors d’une conférence le 9 novembre dernier à Toronto : la Chine est « une puissance qui bouleverse de plus en plus l’ordre mondial et qui cherche à façonner l’environnement mondial de manière à ce qu’il soit plus permissif pour des intérêts et des valeurs qui s’éloignent de plus en plus des nôtres« . Et elle a précisé que le Canada n’hésiterait pas à affronter Pékin si nécessaire, notamment s’il faut défendre la cause des droits de la personne. Des propos tenus également lors d’un entretien à TV5MONDE mi-novembre, lors du Sommet de la francophonie à Djerba en Tunisie.

https://youtube.com/watch?v=zXqnS_VPHEE%3Fstart%3D543

La ministre canadienne des Affaires étrangères a toutefois reconnu que le poids démographique de la puissance chinoise et « son influence rendent la coopération avec la Chine nécessaire pour faire face aux défis mondiaux », comme les changements climatiques.

Bref, le Canada prend très clairement ses distances d’avec la Chine mais maintient ouvert un canal de collaboration avec Pékin sur de grands enjeux planétaires. « Avec la Chine, je pense que le gouvernement canadien n’avait plus le choix que d’adopter une politique beaucoup plus ferme, fait remarquer Guy Saint-Jacques. On a appris beaucoup sur la Chine ces dernières années, sur le fait qu’elle ne respecte pas les normes internationale, qu’elle prend les gens en otages, qu’il y a beaucoup de répression en Chine, que la démocratie a pratiquement disparu à Hong Kong, donc c’est normal de dire maintenant à la Chine : on va encore faire affaire avec vous, mais ça va être limité à quatre domaines ».

Il faudra voir maintenant comment va réagir la Chine à cette nouvelle stratégie. L’ex-ambassadeur avoue son scepticisme à ce sujet : « C’est un pays revanchard, un État immature qui aime pénaliser les pays qui s’opposent à lui, donc je pense qu’ils vont bouder le Canada pendant un certain temps et que ça va être difficile de renouer le dialogue au cours des prochaines années ».

Accrochage entre Xi Jinping et Justin Trudeau au G20

Pour exemple, cet incident, dans les couloirs du G20 à Bali, entre Justin Trudeau et le président chinois. Xi Jinping a interpellé le premier ministre canadien, évidemment devant une caméra de télévision, pour s’indigner du fait que ce dernier avait révélé à la presse le contenu d’une rencontre que les deux dirigeants avaient eue dans les jours précédents, la première depuis des années d’ailleurs.
Dans la vidéo, on voit le premier ministre canadien écouter sans broncher le président chinois l’accuser de manquer de loyauté et de sincérité. « Tout ce dont nous avons discuté a été transmis aux médias et ça ne se fait pas », dit le président chinois, ce à quoi Justin Trudeau répond qu’au Canada, on croit au dialogue franc, ouvert et libre et que cela allait continuer, « nous allons continuer à essayer de travailler ensemble d’une manière constructive mais il y aura toujours des choses sur lesquelles nous ne serons pas d’accord » a conclu le premier ministre canadien. « Le président chinois a semoncé le premier ministre pour lui dire qu’il ne tolérerait pas de critiques, et comme il n’a pas une haute opinion de Justin Trudeau, ça va être très difficile de reprendre un niveau de dialogue », analyse Guy Saint-Jacques.

Un litige vieux de quatre ans

Les relations entre le Canada et la Chine sont difficiles depuis l’affaire Meng Wanzhou et les deux Michael. On se souvient que Pékin avait arrêté deux citoyens canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig, en représailles à l’arrestation à Vancouver, le 1er décembre 2018, à la demande des États-Unis, de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou. Les deux Canadiens ont finalement été libérés, en septembre 2021, par les autorités chinoises après une entente entre les Américains et la dirigeante du géant chinois des communications. Mais cette crise, qui a duré près de trois ans, a eu un effet dévastateur entre Pékin et Ottawa et depuis, les canaux de communication entre les deux pays ont beaucoup de friture sur la ligne.

Ingérence de la Chine dans les élections canadiennes de 2019 ?

Les révélations, par le réseau canadien Global, de possibles ingérences de la Chine dans les élections canadiennes de 2019 rajoutent une couche à la pile déjà imposante de dossiers litigieux entre Pékin et Ottawa.
Selon les informations du média canadien, onze candidats du Parti libéral et du Parti conservateur ont reçu des fonds de Pékin et la Chine a bel et bien tenté d’implanter des agents dans des bureaux de députés canadiens pour « influencer des politiques ». Les services de renseignement canadien en auraient averti Justin Trudeau en janvier. Mais le premier ministre canadien refuse de confirmer quoi que ce soit et il reste très flou dans ses réponses quand on lui pose des questions, sauf de dire qu’il en a parlé au président chinois quand il l’a rencontré au G20. Dans ce dossier, le gouvernement canadien est très prudent et semble marcher sur des œufs. La Chine de son côté nie tout en bloc. Guy Saint-Jacques de son côté croit que le Canada devrait peut-être prendre exemple sur l’Australie qui a adopté récemment des lois pour contrer l’ingérence de la Chine dans son système politique.

« La reprise du dialogue entre le Canada et la Chine va être très lente, conclut l’ex-ambassadeur, les contacts vont être limités et le Canada va devoir travailler de très près avec ses alliés pour développer des politiques communes pour contrôler les pires aspects de la politique étrangère de la Chine et essayer de forcer la Chine à respecter les règles internationales et cesser son comportement de voyou ».

Catherine François

Mise à jour 29.11.2022 à 11:39

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