L’Église et le mariage des prêtres : l’inéluctable bouleversement ?
par Terriennes Liliane Charrier
Une question, régulièrement, revient à l’ordre du jour de l’Eglise catholique romaine : les prêtres pourront-ils un jour se marier ? Cette interrogation prend une nouvelle dimension à l’aune des révélations de la Conférence des évêques de France sur les violences sexuelles dans l’Eglise. Entretien avec Christine Pedotti, rédactrice en chef de la revue Témoignage chrétien.
La Conférence des évêques de France révèle ce 7 novembre 2022 que onze évêques, qui l’ont été ou le sont encore aujourd’hui, sont mis en cause pour des faits de violences sexuelles commis, pour certains, il y a plus de trente ans. En 2021, déjà, le rapport Sauvé, réveillait le débat sur le célibat des prêtres : s’il n’est pas responsable des violences sexuelles, cet engagement peut avoir contribué au fil des siècles à donner au prêtre l’image d’un homme à part, favorisant ainsi les abus de pouvoir.
Au-delà de ces considérations, certains prêtres souffrent de solitude. Pendant le confinement, voués au célibat, avouaient un sentiment d’abandon exacerbé par la solitude lorsqu’ils se sont retrouvés privés des contacts, réunions et visites qui font leur quotidien et sont l’essence de leur vie : « Nous autres prêtres, nous avons appris à piloter les paroisses. Nous avons une certaine maîtrise des choses… Et là, plus rien. Nous vivons au jour le jour, » expliquait au quotidien La Vie le père Patrice Gaudin, curé à Bondy, en région parisienne.
A Douai, le père Jacques, à 54 ans, victime d’un AVC dont il n’a récupéré qu’à 50 %, se confiait à nos confrères d’actu.fr pendant le confinement : « J’attends patiemment, il n’y a rien d’autre à faire ; en lien avec l’Ehpad, dont je regrette la fermeture de la chapelle et l’isolement des confrères, en quarantaine, sans visite possible de l’extérieur ni entre eux ! C’est chacun chez soi, zéro contact, seuls le téléphone et la visio sont acceptés, on t’apporte le repas à distance ! » Seul, il parlait à distance à ses parents, recevait aussi la visite de son infirmier et de son kinésithérapeute, mais le quotidien n’était pas facile pour lui, qui a encore besoin d’aide.
Antelmo Pereira dit la prière à Tikuna, un village indigène isolé au Brésil, le 22 septembre 2019. A 61 ans, il se prépare à devenir diacre. S’il peut faire le catéchisme et conduire les prières, il ne peut pas dire la messe catholique ni entendre la confession puisqu’il est marié et père de neuf enfants.
@AP Photo/Fernando Vergara
Premier pas vers la levée de l’obligation de célibat pour les prêtres, c’est une proposition audacieuse que les évêques du synode sur l’Amazonie faisaient au pape en 2019 : « Ordonner prêtres des hommes mariés idoines et reconnus par la communauté, qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate au presbytérat, pouvant avoir une famille légalement constituée et stable ».
Quelques semaines plus tard, le pape François tranchait : dans son plaidoyer, il ne reprenait aucune des propositions formulées par l’assemblée des évêques des neuf pays d’Amazonie. Ni le débat sur les femmes diacres, ni l’autorisation de devenir prêtres pour des hommes pieux ayant une vie maritale stable. Le pape de 85 ans n’a toujours pas modifié sa conviction profonde selon laquelle la prêtrise doit être un appel de Dieu, un « don » exclusif.
Et pourtant, les fidèles, nombreux à défendre le mariage des prêtres catholiques, ne manquent pas d’arguements concrets, comme l’explique Christine Pedotti, directrice de la rédaction de la revue Témoignage chrétien
Entretien avec Christine Pedotti
Christine Pedotti
Terriennes : Jésus était entouré de femmes, certains apôtres étaient mariés, les premiers prêtres l’étaient aussi… Que s’est-il passé ?
Christine Pedotti : S’il y a beaucoup de femmes autour de Jésus, c’est une anomalie au regard des mœurs de l’époque. Puis peu à peu, l’Eglise s’est hélas rendue aux normes de l’époque. Le Christ, lui, n’a jamais prôné la chasteté. Mais à travers les textes qui ont précédé l’interdiction du mariage des prêtres (qui remonte à mille ans « seulement « , ndlr), on décèle déjà une vision péjorative des femmes. Reste que la première raison du célibat des prêtres, c’est que les hommes mariés ont des enfants et qu’il ne faut pas que les biens de l’Eglise deviennent héréditaires et se dispersent.
Dans d’autres religions chrétiennes, pourtant, les représentants du culte peuvent se marier ?
Depuis Luther, les pasteurs ont toujours eu le droit de se marier. Luther lui-même fut le premier. Les protestants n’ont pas la même vision de leur pasteur. C’est un chef de communauté qui n’a pas la dimension sacrée du prêtre catholique.
Mais dans toutes les religions, même si ce n’est jamais dit explicitement, la conviction archaïque prévaut qu’il ne faut pas se compromettre avec le corps des femmes, qui souille. Les prêtres orthodoxes, qui sont mariés, doivent quitter la maison familiale le samedi soir et aller dormir dans un ermitage ou à la sacrisitie au vu et au su de tous pour prouver qu’ils ne consommeront pas les œuvres de chair. Et quand, dans le catholicisme, on a peu à peu décidé qu’il y aurait une messe chaque jour, il devenait de toute façon difficile d’avoir une épouse.
Le mariage des représentants religieux dans les différents cultes.
L’islam et le judaïsme autorise le mariage.
Imams et rabbins peuvent non seulement se marier, mais ils en ont le devoir. Il en va de même pour les prêtres hindous qui doivent être mariés pour pratiquer toutes les cérémonies. Le mariage des brahmanes (caste sacerdotale) est également autorisé, mais la grande majorité reste célibataire et entièrement vouée au culte.
Les moines bouddhistes font vœu de célibat et de chasteté.
Dans l’Église anglicane, les pasteurs ont le droit de se marier et ce, depuis le début du protestantisme. D’après « le sacerdoce universe », principe important de la Réforme protestante de Luther, tous les baptisés sont égaux. Les pasteurs sont des hommes comme les autres ; contrairement aux prêtres, leur fonction ne relève pas du sacré.
Dans la religion orthodoxe, un homme déjà marié peut être ordonné prêtre. Les popes peuvent également être mariés. Ils ne peuvent ni divorcer, ni se remarier. En revanche, seuls les popes célibataires peuvent devenir évêques.
Pourquoi les choses ont-elles tant de mal à bouger pas dans l’Eglise catholique ?
Le masculinisme du clergé catholique reste très fort. A cela s’ajoute une puissante dimension sacrée du prêtre, sous prétexte qu' »il serait plus difficile de se confesser à un homme marié, qui n’a pas la dimension sacrée. » C’est cela qui permet au pape émérite Benoît XVI de déclarer que le rapport au sacré suppose qu’on ne touche pas les femmes.
Le pape François peut-il lever l’interdiction du célibat des prêtres ?
Il aurait pu actionner un levier qui lui ressemble : changer les choses dans un endroit qui nous semble très très exotique, en l’occurence l’Amazonie, où les conditions sont, de fait, très particulières, en affirmant qu’elles nécessitent des mesures particulières. Or ce monde, aussi éloigné semble-t-il, ressemble étrangement au nôtre : un monde dans lequel le célibat des prêtres est de moins en moins compréhensible, un monde où la place des femmes est très importante.
J’en veux pour preuve que les évêques allemands, récemment réunis en synode, ont inscrit l’hypothèse du mariage des prêtres dans leur programme. Je crois que les choses peuvent aller très vite. C’est pour cela, d’ailleurs, que les conservateurs ont réagi de façon si véhémente. Ils ne se seraient pas affolés ainsi pour une poignée d’Amazoniens fin 2019 s’ils n’avaient pas senti la menace d’un effet cliquet.
Le prêtre marié, par René Magritte (1958)
Pourquoi les évêques américains sont-ils les plus véhéments sur cette question ?
Les évêques américains sont particulièrement conservateurs, suite aux nominations de Jean-Paul II, puis de Joseph Ratzinger, qui faisaient suite à une vague d’évêques pas du tout conservateurs dans les années 1970 et 1980. Les catholiques américains, eux, ne sont pas conservateurs, comme on l’a vu lors des mouvements de soutien aux religieuses condamnées par le Vatican pour leur progressisme. Les nominations d’évêques comptent parmi les moyens les plus importants du Vatican pour changer la donne. Celles du pape François sont, à cet égard, très éloquentes.
Qu’est-ce que le mariage des prêtres changera ?
Les prêtres mariés auront des femmes, des filles de 15 ans rebelles, des belles-filles, leurs enfants auront des maîtresses d’école…. Ils évolueront dans un système paritaire. Le changement, tout le monde le sait, sera considérable. Tout est différent quand on a une femme, des enfants, une vie au travail, des difficultés avec les collègues ou sa hiérarchie, le coût de la vie… Les prêtres célibataires sont « hors sol », à moins qu’ils ne s’entourent de couples et de leur famille, mais avec le temps qui passe, ils finissent toujours par rester seuls.
Recruter un prêtre sur le seul critère qu’il reste célibataire, c’est recruter un drôle de psychisme !
Christine Pedotti
Si les prêtres se marient, leur compréhension du monde en sera-t-elle changée ?
Beaucoup de prêtres de mes amis ont une existence de célibataire très difficile. La vraie solitude, sans enfants, n’avoir le souci que de soi-même dans des vies qui, aujourd’hui, sont très longues…. Ils perdent leur parents, la vie les éloignent de leurs frères et soeurs, puis de leurs neveux, nièces, au gré des nominations. La solitude est le principal fardeau du prêtre condamné au célibat. Il y a sûrement quelques saints qui savent sublimer cette solitude en une disponibilité plus grande. Mais rentrer à la maison et y trouver quelqu’un, une épaule sur laquelle s’appuyer, un secours si l’on tombe malade, c’est précieux.
Laissons-leur le choix ! Si certains ont la vocation du célibat, qu’ils restent célibataires. Mais recruter un prêtre sur le seul critère qu’il reste célibataire, c’est recruter un drôle de psychisme…
Avec le mariage, on aura une population plus ordinaire, moins de super héros. Beaucoup de garçons entrent au séminaire avec une vision sublime et sacrificielle d’eux-mêmes et de leur sacerdoce. Ils pensent échapper aux contingences de la vie ordinaire en « donnant tout au seigneur », devenir des sortes d’anges. Mais dans la vraie vie, ils se retrouvent tout seul à manger des raviolis en boîte dans leur presbytère.
La solitude du prêtre au fil du temps
Le témoignage de Bernard Chalmel, ancien prêtre
Quand j’étais jeune séminariste, dans ma demande d’ordination, j’ai expliqué, porté par l’enthousiasme, que je savais pouvoir aimer et être aimé, et que cela me suffisait à choisir ma vocation et à renoncer au mariage en toute conscience, et pas par dépit. Puis je me suis retrouvé projeté dans une vie réelle à laquelle je n’étais pas préparé.
Progressivement, la solitude s’installe, même si l’on est entouré de ses frères et sœurs que l’on voit, tour à tour, fonder une famille. « Tu n’y connais rien aux enfants », s’entend-on dire. Quand je rentrais au presbytère, je souffrais de plus en plus de la solitude. Je souffrais de ne pas être en couple, mais surtout de ne pas être père. Beaucoup de prêtres le vivent mal, ils » tournent à vide », manquent d’affection, de partage, de soutien, de chaleur humaine.
Ils sont malheureux de ne pas pouvoir vivre au quotidien l’amour universel qu’ils prêchent. Ils se dessèchent, se rigidifient, deviennent insensibles, et certains finissent par compenser dans l’alcool ou par basculer dans des abus d’autorité. Moi j’ai commencé par des passades amoureuses, par manque cruel de chaleur humaine. Puis j’ai rencontré Marie-Laurence, qui est devenue ma femme.
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Y aurait-il moins de pédocriminalité dans l’Eglise si les prêtres pouvaient se marier ?
La pédocriminalité n’est pas une sexualité de substitution, mais une sexualité liée à l’abus de confiance. La vraie question est : pourquoi semble-t-il y avoir davantage de pervers criminels parmi les prêtres catholiques que dans le reste de la population ? C’est un point critique que personne ne veut aborder.
Les prêtres homosexuels pourront-ils un jour se marier ?
Pas maintenant en tout cas ! Mais le mariage hétérosexuel des prêtres changera le recrutement et comme me disait déjà un patron de séminaire il y a une dizaine d’années : « Autoriser l’ordination des hommes mariés est une bonne façon de lutter contre la tendance homosexuel du clergé. »
Qu’en pensent les principaux intéressés ?
Ceux qui ont fait le choix du célibat n’ont pas envie de le dénigrer. Quand on fait un choix aussi coûteux, on a envie de dire qu’il est bon et légitime. Mais je connais beaucoup de garçons qui ont quitté le séminaire en cours de route pour se marier. Et aussi de jeunes prêtres défroqués pour cette raison.