COP28: douche froide sur les fossiles dans le nouveau projet d’accord, jugé très «flou»

Ce nouveau brouillon du Bilan mondial, rendu public en fin de journée à Dubaï, a vu s’envoler toutes les options d’une « sortie », y compris conditionnée, des énergies fossiles. C’est en revanche la première fois que les énergies fossiles sont mentionnées dans une déclaration. Un progrès sémantique mineur compte tenu des attentes. Sur place, les réactions, outrées de la part de nombreux pays, ne se sont pas fait attendre.

Par : Géraud Bosman – Delzons envoyé spécial RFI à Dubaï,

S’il n’est encore qu’un projet, il ressemble fort à un texte final : plus de crochets, plus d’options. À moins de 24h de la fin programmée de la conférence climatique de l’ONU sur le climat, c’est un euphémisme de dire qu’il déçoit. Beaucoup de délégations le jugent inacceptable.

La « sortie » des fossiles… sortie du projet

Le passage 39, le plus scruté, car portant sur les énergies fossiles, a effectivement été vidé des quatre options mentionnant une sortie. À la place, il « appelle à prendre des actions qui pourraient inclure, entre autres ». Une formulation qui indique que ce qui suit est optionnel. Suivent huit alinéas. L’un d’eux : « la réduction à la fois de la consommation et de la production des énergies fossiles d’une manière juste, ordonnée et équitable, de façon à atteindre zéro net [neutralité carbone, NDLR] d’ici, avant ou autour de 2050, comme préconisé par la science. » Les termes énergies fossiles ne sont cités que « trois fois » en 21 pages de texte, fait remarquer le groupe de réflexion Climate Diplomacy.

En lieu et place, le texte pave la voie au recours à un large panel de technologies, alignant pêle-mêle « les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et d’élimination des émissions, notamment le piégeage, l’utilisation et le stockage du carbone, et la production d’hydrogène à faible teneur en carbone ». Les technologies, considérées par de nombreux scientifiques, ONG et dirigeants d’État, comme le cheval de Troie des pays producteurs d’énergies fossiles. Les experts du Giec ne mettent en avant leur utilisation que pour les « émissions résiduelles » et incompressibles. Le nucléaire fait pour la première fois son apparition dans le texte.

Par ailleurs, le projet marque un recul sur le charbon puisque, tout en demandant leur « limitation », il indique « l’autorisation de nouvelles centrales électriques au charbon non traité ». Depuis la déclaration de la COP26 à Glasgow qui appelait à « réduire » l’utilisation du combustible fossile le plus polluant, les textes ne mentionnaient pas cette possibilité de la construction de nouvelles centrales.

« Recul » et manque de « clarté du signal »

Premières à réagir, les différentes ONG observatrices et spécialisées dans les nombreux dossiers en discussion. Elles pointent avant tout un document imprécis. « On voit une liste assez incohérente de mesures diverses et variées, très loin d’être à la hauteur de la crise climatique et de ce qui est nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5°C, ce qui est l’objectif, réagit pour RFI l’expert des politiques climatiques Romain Ioualalen, de l’ONG Change international. Il y a un langage très faible sur les énergies fossiles qui parle de réduire la production et la consommation d’énergies fossiles, alors que ce qu’il faut, c’est une sortie, progressive certes, mais une sortie complète. »

Pour Gaïa Fèbvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat (RAC) France, « ce projet de texte est très décevant par rapport au nombre grandissant d’États qui appellent à une sortie juste et équitable des énergies fossiles. Mais il est surtout très dangereux. Non seulement, il ne permet absolument pas de mettre en œuvre une sortie juste, rapide et équitable de toutes les énergies fossiles, mais pire, il ouvre la porte à des mirages technologiques qui nous éloignent toujours plus du 1,5°C […] L’adoption de ce texte ne serait pas seulement un échec, mais bien un recul ! » Le texte est « un recul important comparé aux versions précédentes », a abondé pour sa part Harjeet Singh, le chef de la stratégie politique mondiale du Réseau Action Climat (RAC) international.

À l’ONG WWF, on y voit « un brouillon de début de COP », « une liste de solutions plus fumeuses les unes que les autres et auxquelles sont attachées tel ou tel pays ». En ligne de mire de ce commentaire : les pro-technologies, mais aussi la France avec l’introduction du nucléaire dans le texte. « Le texte est confus, car il mélange les énergies renouvelables, solutions réelles et bon marché, à des solutions qui sont de l’ordre du fantasme technologique et qui coûtent très cher, nous dit le Giec. »

Un son de cloche différent chez les militants, celui Mohamed Adow, à la tête de PowerShift Africa et militant du climat. Il voit le verre à moitié plein et note la présence inédite jusque là des termes « énergies fossiles » : « On cuisine un plat sans énergies fossiles ici à Dubaï. Les gens discutent de savoir si c’est la bonne recette, mais le principal c’est que les bons ingrédients sont là. » En revanche, « pétrole » et « gaz » ne sont pas clairement écrits, contrairement au charbon, intégré depuis la COP26.

Pour cette voix africaine, « le noeud du problème reste de voir comment gérer la différentiation dans la transition énergétique pour que tous les pays ne soient pas logés à la même enseigne ». Une demande clé des pays du Sud est effectivement de pouvoir être traité de manière « différenciée » pour ne pas avoir à accomplir des efforts identiques aux pays du Nord. À ce titre, le langage est renforcé.

La majorité des pays du groupe Afrique estime, elle aussi, que la réduction plutôt que la sortie des fossiles est une bonne chose, rapporte notre envoyé spécial Sidy Yansané.

Ceux qui pourraient être offusqués et monter au créneau contre la seule réduction des énergies fossiles sont les pays comme Tuvalu, Samoa, les îles Marshall qui commencent à se réveiller les pieds dans l’eau. Mais des pays comme la Norvège qui vient d’accorder de nouveaux permis pétroliers, la France dont la compagnie Total n’a jamais été aussi prospère, les Britanniques avec BP, les Hollandais avec Shell, et on ne parle même pas des Américains, sont tous dans des tendances haussières de production. Comment peuvent-ils aujourd’hui nous pointer du doigt en disant que nous ne pouvons pas exploiter notre pétrole, alors qu’eux-mêmes sont dans une expansion du secteur ? Ça me parait être une posture hypocrite. 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, 900 millions utilisent de mauvaises méthodes pour préparer la cuisine en termes d’émanation de fumée que respirent nos mères et les tuent. Et du jour au lendemain, il faudrait arrêter de subventionner nos fossiles, avec le risque de remous importants dans nos pays, pour se montrer plus vertueux que d’autres qui eux-mêmes ne brillent pas par leur vertu ? Je pense qu’il faut se montrer équitable.

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L’Afrique pour la réduction des énergies fossiles, mais pas sa sortieSidy Yansané

« C’est un texte qui envoie des messages un peu contradictoires, analyse Lola Vallejo, directrice des programmes Climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales. C’est une concaténation des priorités des différents pays. Le plus inquiétant avec cette longue liste de course, c’est que chacun puisse retenir ce qu’il veut. » « La clarté du signal est perdu en cours de route », regrette cette spécialiste aux analyses nuancées et informées. Elle tient par contre « à saluer » la « notion très prositive de parler pour la première fois de production » des combustibles polluants.

Les petites îles dépitées

Du côté des États, c’est aussi la douche froide pour nombre d’entre eux, puisqu’ils sont désormais une large majorité à vouloir la sortie des énergies fossiles.

Parmi les réactions attendues, celle venue des petites îles, du Pacifique notamment, dont les terres sont menacées par l’érosion et les cyclones. Toeolesulusulu Cedric Schuster, ministre des îles Samoa, a confié sa « profonde inquiétude » : « Le paragraphe 39 du texte sur le Bilan mondial inclut un langage faible sur les combustibles fossiles qui est totalement insuffisant. Il ne fait pas du tout référence à une élimination progressive. Il présente un menu d’options que les États pourraient adopter. « Pourrait » est inacceptable. » 

Mona Ainuu, ministre de l’Environnement du micro-État polynésien de Niue, membre de l’Alliance des Petits États insulaires, avait les larmes aux yeux : « Je suis venue ici comme mère d’une fille de 12 ans et je n’arrête pas de parler depuis deux semaines », commence-t-elle. « Ce texte est honteux et je suis terriblement déçue », a-t-elle poursuivi : « nous devons aider le Pacifique. On est en train de couler, On perd nos terres, on perd nos populations. Que doit-on dire de plus ? » Et de conclure : « nous ne pourrons venir à une prochaine COP si nous ne sommes plus là […] Que vais-je dire en revenant ? »

Fatigué et la mine basse, le négociateur antiguais Michai Robertson déplore un texte « imprécis ».

« Il n’est pas envisageable de quitter Dubaï sans qu’il n’y ait un signalé clair lancé aux Nations les plus vulnérables, indiquant un soutien pour les aider à faire face aux conséquences inévitables du changement climatique. C’est une négociation. Les choses sont littéralement sur la table et l’Afrique va se battre aux côtés des pays les moins développés pour parvenir à un texte prenant en compte les aspirations des pays les plus vulnérables d’autres planètes », a de son côté affirmé Mohamed Adow, fondateur et directeur de Power Shift Africa. 

Le président al-Jaber laisse sa « porte ouverte »

L’Union européenne a qualifié le projet d’« insuffisant », tout comme Washington qui juge qu’il peut être « substantiellement renforcé », en particulier sur la « question des énergies fossiles ». Parmi les autres réactions, celle virulente de la ministre colombienne Susana Muhamad, l’un des visages émergents de cette COP : « Le capitalisme des combustibles fossiles est en train de gagner la partie. »

La présidence émirienne est, sans surprise, mise à l’index. « C’est très loin de l’ambition que s’est posé le président de la COP lui-même qui a répété qu’il voulait le meilleur accord possible qui soit en lien avec la science, avec les rapports du Giec […] Le problème, c’est que le président de la COP a essayé de satisfaire tout le monde en mélangeant des options qui pourraient convenir à certains pays ou à d’autres, mais la réalité, c’est que tout ça n’est pas compatible. Et en essayant de faire ça, ne satisfait personne. Il y a clairement un échec de leadership de la COP. »

Sultan al-Jaber s’est à son tour exprimé en conférence de presse. « Nous avons fait des progrès, mais nous avons encore beaucoup de travail […] Ma porte reste ouverte à tout le monde. Maintenant, nous devons travailler plus vite, plus intelligemment et n’avons aucune autre option que celle de travailler ensemble. »

Juste avant la publication du nouveau projet, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a fait une courte allocution devant la salle plénière : « Il est essentiel que le Bilan mondial reconnaisse la nécessité d’éliminer progressivement TOUS les combustibles fossiles dans un délai compatible avec la limite de 1,5° et qu’il permette d’accélérer une transition énergétique juste, équitable et de manière ordonnée pour tous. » Plus que jamais, les Émirats jouent leur succès sur un mot : sortie.

Un projet qui fait des heureux

Alors qu’un groupe de 80 pays appelait à la sortie des énergies fossiles à Charm el-Cheikh, et « une majorité » d’entre eux depuis deux semaines selon la ministre française Agnès Pannier-Runacher, cette perspective est fortement combattue par les pays producteurs de pétrole, Arabie saoudite en tête.

Avec ce nouveau projet de déclaration finale, bien plus favorable à ses intérêts, l’Arabie saoudite a des raisons de se réjouir. Le premier pays producteur d’or noir au monde avait clairement dit avoir des « inquiétudes » à propos des conclusions que la COP pourraient adopter. Son économie est largement dépendante de cette énergie. Et s’il a entamé un programme de diversification, celui-ci a besoin des revenus pétroliers pour financer les grands travaux nécessaires à l’émergence d’autres secteurs économiques. Il ne veut donc pas d’une mention de « sortie des énergies fossiles ».

L’Irak est aussi dans une situation assez semblable. Le pays est le deuxième plus gros producteur de l’Opep+, l’organisation des pays exportateurs de pétrole. Le pétrole est d’ailleurs quasiment son unique exportation et le secteur représente 42% du produit intérieur brut. Préserver l’avenir de ce secteur est donc aussi très stratégique pour Bagdad qui est l’un des pays les plus offensifs au sein du groupe des pays arabes.

D’autres pays producteurs de pétrole partagent leur position. Et dans une lettre écrite la semaine dernière, le secrétaire général de l’Opep+ demandait à ses pays membres de rejeter toute formule prévoyant un abandon du pétrole et du gaz. Si le compromis proposé par les Émirats est adopté en l’état, leurs préoccupations auront été entendues.

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