Ce qui pousse l’Arabie Saoudite à investir dans le football

Le Championnat saoudien a débuté le vendredi 11 août avec son lot de stars et ses transferts records. Les observateurs du ballon rond s’interrogent sur les réelles intentions de la monarchie pétrolière. Passion pour le sport ou stratégie d’influence ? 

C’était une image encore impensable il y a quelques années. Le quintuple Ballon d’Or, Cristiano Ronaldo, fait son grand retour et brandit la Coupe Arabe des Clubs Champions après la victoire de son nouveau club, Al-Nassr, ce samedi 12 août, face à l’autre club star de la capitale saoudienne, Al-Hilal (2-1). L’Arabie Saoudite s’est engagée à dépenser près de 200 millions d’euros par an, jusqu’en 2025, pour sa venue. 

C’est une vraie stratégie de « soft power » de se servir du football pour souligner une vision un peu réformatrice de ce pays très conservateur, explique le journaliste spécialiste du football, Patrick Juillard, pour justifier les récents investissements de l’Arabie Saoudite dans le football. Mais ce côté réformateur n’empêche pas qu’il y ait une vraie culture foot en Arabie Saoudite beaucoup plus qu’au Qatar.

L’attaquant brésilien Neymar est lui sur le départ du Paris-Saint-Germain. Selon le quotidien de football L’Équipe, le club saoudien Al-Hilal s’est attaché ses services pour deux saisons, contre un transfert d’un peu moins de 100 M€, bonus compris. Le Ballon d’Or 2022 Karim Benzema, le milieu de terrain Fabinho, le deuxième du Ballon d’Or 2022 Sadio Mané ou l’ancien milieu défensif du RC Lens Seko Fofana… La liste des joueurs ayant signé cette saison est longue. Face à l’engouement, le réseau télévisé américain Fox annonce avoir acquis les droits de diffusion pour les États-Unis du championnat d’Arabie Saoudite. En France et en Afrique, c’est Canal+ qui s’en charge.

“Il faut dire les choses clairement. Ce qui attire en premier les joueurs, c’est l’aspect financier », avoue Patrick Juillard. « Mais plus il y aura de joueurs qui ont la trentaine avec un niveau en Ligue des Champions, plus les joueurs concernés seront enclins à dire oui à l’Arabie Saoudite.

Depuis 2019, l’Arabie Saoudite est passée dans le top 10 des pays les plus dépensiers sur le marché des transferts.Patrick Juillard, journaliste spécialiste football 

Un investissement saoudien de long-terme

Ces joueurs stars n’arrivent pas comme seules têtes de gondoles dans l’univers footballistique saoudien. “Depuis 2019, l’Arabie Saoudite est passée dans le top 10 des pays les plus dépensiers sur le marché des transferts, explique Patrick Juillard. Et ça fait plusieurs années qu’elle s’est mise à proposer des contrats assez intéressants à des joueurs qui jouaient dans les bons championnats des pays d’Afrique du Nord.” C’est le cas par exemple de l’international Marocain Abderrazak Hamdallah qui évolue en Arabie Saoudite depuis 2019 ou du marocain Mourad Batna. Il joue à Al-Fateh depuis 2020.

L’Arabie Saoudite a vu l’impact positif (n.d.l.r. de la Coupe du monde au Qatar) sur le pays malgré les critiques, malgré les appels au boycott. Le tourisme a doublé

Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient

Pour l’instant, l’aide financière du gouvernement saoudien est concentrée sur quatre clubs du championnatAl-Nassr, Al-Hilal, Al-Ahli et Al-Ittihad. Mais Mohamed Ben Salmane (MBS), prince héritier depuis 2017 et dirigeant de facto du pays, va autoriser les entreprises privées à être propriétaires de clubs. Une recrudescence des investissements dans le football alimentée par le succès du Qatar lors de la tenue de sa Coupe du monde en 2022. “L’Arabie Saoudite ne peut pas être en reste, explique Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient. Elle a vu l’impact positif sur le pays malgré les critiques, malgré les appels au boycott. Le tourisme a doublé.” Il ne fait pas de doutes que l’Arabie Saoudite veut aussi sa Coupe du monde en 2030 ou en 2034. 

Ce n’est pas quelque chose qui a été monté en 15 ou 20 ans en partant de rien comme au Qatar.

Patrick Juillard, journaliste spécialiste football

Une culture footballistique ancrée depuis les années 90

Mais, contrairement au Qatar, l’intérêt des Saoudiens et de l’Arabie Saoudite pour le football ne date pas d’hier. “Dès les années 90, l’équipe nationale d’Arabie Saoudite s’est faite remarquer au niveau mondial, argumente le journaliste Patrick Juillard. Ce n’est pas quelque chose qui a été monté en 15 ou 20 ans en partant de rien comme au Qatar.” En 1994, lors de la Coupe du monde aux Etats-Unis, l’équipe saoudienne s’était qualifiée pour les huitièmes de finale. Au Qatar, près de 20 ans après, l’Arabie Saoudite a été la seule équipe nationale à battre l’Argentine (1-2), future championne du monde.

Et les supporters sont présents. “Quand on voit la ferveur autour des matchs, il y a un véritable engouement, résume-t-il. Ce ne sont pas des gens qu’on a mis là avec des invitations et qui agitent des drapeaux contrairement au Qatar. Ça peut aussi contribuer à attirer des joueurs.” L’Arabie Saoudite compte près de 35 millions d’habitants. La proportion de Saoudiens âgés de moins de 30 ans s’éleve à 63% de la population totale.

Selon le docteur en sciences politiques Sébastien Boussois, la comparaison avec le Qatar, et ses 200 000 habitants, pour la plupart étrangers, est difficile à établir.

Cette vision extrêmement stratégique et intéressée de Mohamed Ben Salmane est clairement ce qu’on appelle en géopolitique une forme de dissimulation par l’art, on peut ajouter “par le sport.”

Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient.

 Il souligne avant tout les manœuvres politiques saoudiennes. “Cette vision extrêmement stratégique et intéressée de Mohamed Ben Salmane est clairement ce qu’on appelle en géopolitique une forme de dissimulation par l’art, on peut ajouter “par le sport”, développe-t-il. Vendre du spectacle et de l’image pour masquer son agenda politique parfois torturé.

Une stratégie de « soft power » pour masquer l’agenda politique de MBS

À l’instar de son intervention dans la guerre au Yémen dès 2017, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ou le traitement infligé aux femmes, l“agenda politique” de MBS est décrié par les organisations internationales de droits humains. 

Il use ainsi d’une stratégie de “soft power” pour faire oublier ses actes politiques aux yeux du monde. “Il l’avait fait au moment de la pandémie en 2020 en rachetant un pourcentage important du capital de Live Nation (n.d.l.r. la première entreprise de divertissement au monde), complète Sébastien Boussois. L’Arabie Saoudite rachetait une société de spectacle vivant dans laquelle vous aviez des artistes et chanteurs très dénudés et contraires à ses valeurs.” Mais il y a aussi ce projet d’une ville futuriste, Neom, en plein désert en 2030 la tenue des Jeux olympiques d’hiver 2026 ou encore l’organisation du Dakar, le rallye-raid dans la péninsule arabique maintenu au moins jusqu’à l’édition 2025.“Le football, c’est un peu le cocotier à décrocher pour parachever une image de pays super fun”, conclut Sébastien Boussois.

Jusqu’où cette stratégie peut-elle aller ? “C’est toute la question, se demande Patrick Juillard. On avait déjà vu la Chine investir énormément dans le football”, rappelle le journaliste. Aux alentours de 2018, le championnat chinois est devenu l’Eldorado des stars du football. Pourtant, la destination n’est plus du tout prisée des joueurs. ”C’était dans un cadre plus protectionniste avec un nombre limité d’étrangers par clubs, nuance le journaliste. J’ai l’impression qu’en Arabie Saoudite cela a pris une dimension autre.” 

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