L’Union africaine doit se préparer à devenir membre du G20 dès à présent
Un tel résultat semble de plus en plus probable, à l’heure où de plus en plus de voix réclament l’admission de l’Union africaine au sein du G20. Bon nombre des membres les plus éminents du groupe, dont les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et la France, ont approuvé l’adhésion à part entière de l’UA, que le Premier ministre indien Narendra Modi a proposé d’accorder lors du prochain sommet du G20 à New Delhi.
Le président sénégalais Macky Sall, champion de cette cause lors de son récent mandat à la présidence de l’UA, a souligné à juste titre que cette initiative se fait attendre depuis longtemps, compte tenu du poids économique et démographique du continent. En devenant membres à part entière, les dirigeants africains peuvent contribuer à concevoir un système financier mondial plus équitable et plus inclusif et des solutions multilatérales à quelques défis – notamment le changement climatique et les pandémies – dans l’intérêt de tous.
Il faudra de nouveaux efforts de sensibilisation de l’opinion pour obtenir ce siège, mais il est temps pour l’UA de mettre au point une stratégie en vue de récolter les bénéfices potentiels de l’adhésion. Une telle stratégie doit reposer sur les quatre piliers suivants.
Tout d’abord, l’UA doit sélectionner soigneusement ses représentants au G20. Bien que le président en exercice puisse être le choix évident pour assister au sommet des dirigeants, un tel choix ne semble pas recommandé dans les circonstances actuelles. Le roulement constant (le président est élu pour un mandat d’un an), conjugué au soutien institutionnel limité actuellement disponible, rendrait difficile pour l’UA d’apporter une contribution efficace. Une idée qui mérite d’être explorée consiste à choisir soit le président de la Commission de l’UA, qui supervise les activités quotidiennes de l’Union, soit un ancien chef d’État représentant l’UA au sommet des dirigeants pour un mandat pluriannuel.
De toute évidence, un dirigeant fort de l’UA au sommet du G20 n’est pas une panacée. Une représentation adéquate aux réunions des ministres, des gouverneurs des banques centrales et des groupes de travail techniques convoqués par la Piste Finance et la Piste Sherpa du G20 est tout aussi importante. Il faudra accorder une attention particulière à la Piste Finance, qui a joué un rôle central dans le développement des initiatives du G20 ayant des implications majeures pour les économies africaines, notamment l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD), le Cadre commun pour les traitements de la dette au-delà de l’ISSD et la Feuille de route pour un financement durable.
Deuxièmement, les représentants de l’UA ne peuvent être efficaces que si les décideurs africains élaborent et avancent des positions communes sur les questions économiques mondiales. Alors que l’UA réussit traditionnellement à façonner les vues africaines sur les questions diplomatiques, les opinions sur la politique économique ont tendance à être fragmentées et ne sont évoquées que sporadiquement. Les dirigeants de quelques pays africains sont francs sur ces questions, mais le continent devra parler d’une seule voix s’il espère influencer la prise de décision du G20. La perspective d’une adhésion à part entière devrait inciter l’UA à mettre en place un processus d’élaboration de positions économiques communes qui comprenne toutes les parties prenantes nationales concernées.
Troisièmement, l’UA aura besoin d’un programme clair pour réformer l’architecture financière mondiale. Dans un contexte de crises interconnectées liées au changement climatique, à l’insécurité alimentaire et énergétique, aux urgences de santé publique et aux conflits, le continent est confronté à d’importants déficits de financement. Le système financier international ne couvre actuellement qu’une faible part des besoins de développement durable de l’Afrique, qui sont estimés à 1,3 billions de dollars par an jusqu’en 2030. Pourtant entre 2016 et 2019, le continent n’a reçu que 3 % des flux mondiaux de financement climatique. Ces flux vers l’Afrique s’élèvent actuellement à 30 milliards de dollars par an, bien en deçà des 2,7 billions de dollars nécessaires d’ici 2030 pour mettre en œuvre ses contributions déterminées au niveau national dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.
La dynamique politique en faveur d’une refonte du système se développe, mais se contenter de joindre des appels à la réforme risque de ne pas suffire. Pour opérer un changement, l’UA doit disposer d’un plan global autour duquel elle peut rallier ses partenaires. Compte tenu de l’ampleur d’une telle entreprise, les dirigeants africains devraient dès maintenant s’adresser aux institutions et experts africains compétents pour les aider à concevoir une proposition et à organiser son lancement.
Enfin, la constitution de coalitions avec d’autres membres du G20 sera essentielle pour que l’UA maximise son influence sur le processus d’élaboration des politiques du groupe. Ces partenariats devraient être étendus au-delà des gouvernements et de l’Union européenne à tous les acteurs du G20 participant au forum, y compris aux groupes de réflexion, universitaires, groupes de la société civile, secteur privé, syndicats, organisations de jeunes et de femmes.
L’UA devra également s’engager auprès des groupes et partenaires de développement sur le continent et solliciter leurs contributions et leurs commentaires sur son programme du G20. Les institutions panafricaines, les organisations multilatérales et autres entités non gouvernementales peuvent offrir un soutien précieux qui ne doit pas être gaspillé.
L’adhésion au G20 permettra à l’UA d’élaborer un programme de développement mondial mieux conforme à son propre Programme 2063 et de mobiliser des financements extérieurs pour l’adaptation au changement climatique, à la transition énergétique et au développement des infrastructures. Mais à une époque de compétition entre grandes puissances, l’UA ne devrait pas compter uniquement sur la coopération multilatérale. Elle doit renforcer ses liens avec ses partenaires traditionnels, se frayer un chemin entre les relations tendues entre les États-Unis et la Chine pour optimiser les flux de financement du développement et tirer parti de ses relations économiques croissantes avec les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), alors que le Brésil doit présider le G20 l’année prochaine.
L’UA et ses États membres doivent se préparer de toute urgence au siège permanent du G20 qui est de plus en plus susceptible de lui être offert. Mais ils doivent à présent jeter les bases nécessaires pour produire les résultats escomptés sur le plan politique et sur le plan du développement.
Ibrahim Assane Mayaki, ancien Premier ministre du Niger et PDG de l’Agence de développement de l’Union africaine, envoyé spécial de l’Union africaine pour les systèmes alimentaires. Daouda Sembene, ancien directeur exécutif du Fonds monétaire international et conseiller économique principal du président du Sénégal, directeur associé d’AfriCatalyst.
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Source – Léral