La bonne gouvernance des micro-conflits communautaires, pour une paix et une stabilité durables au Sénégal
1 Ce mois béni du Ramadan 2023 sera marqué du sceau de la violence, nonobstant les prières et vœux de paix. Des batailles rangées impliquant les communautés de pêcheurs de Kayar, Mboro et Guet Ndar ont fait un mort et plusieurs blessés. Ces scènes de violence, rapportées par les médias sociaux, sont symptomatiques de micro-conflits chroniques dont les principales causes structurelles sont le contrôle et l’accès à des zones de pêche, donc aux ressources halieutiques.Celles-ci sont devenues d’importants enjeux de survie pour les communautés locales et pour la population nationale. Pour rappel, plus de six cent mille Sénégalais vivent directe-ment et plus de six millions indirectement des activités de la pêche continentale.2 Les micro-conflits entre communautés de pêcheurs viennent s’ajouter à ceux qui ont déjà opposé, dans un passé récent, des agriculteurs et des éleveurs, des populations autochtones à des investisseurs soupçonnés d’accaparement, des communautés villageoises contre des exploitants forestiers et miniers, et tant d’autres. La liste des micro-conflits quotidiennement rapportés dans les faits sociaux et divers de la presse et des médias sociaux est malheureusement longue. En effet, la presse nationale rend compte fréquemment de cas de conflits fonciers opposant promoteurs immobiliers et habitants, responsables de collectivités territoriales et leurs administrés.Les conflits fonciers sont les plus récurrents. De l’avis même du chef de l’Etat, ils sont les premiers types de plaintes des citoyens à l’endroit du président de la République. Ils touchent toutes les couches de la population et concernent aussi bien les quartiers traditionnels, les quartiers dits informels, que les cités cossues de la capitale. Partout, des velléités de récupération de terrains destinés à l’usage du public sont dénoncées et opposent les habitants à des autorités publiques ou à des individus disposant de moyens d’influence.3 Des micro-conflits de ce type, il y en a à foison. Leur récurrence ainsi que leur distribution sur le territoire national doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des autorités de l’Etat et de l’ensemble des acteurs de la vie politique nationale. Les autorités ont l’obligation historique de rechercher et de trouver les moyens de stopper ce cycle de violence. Les préoccupations réelles des différents protagonistes doivent être comprises et prises en compte, de façon optimale, dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. La problématique de la protection, du contrôle et de l’accès équitable aux différentes ressources naturelles reste vitale. Il est urgent de rechercher les véritables raisons des micro-conflits dont certains sont devenus cycliques et qui, à terme, risquent de compromettre durablement la paix et la stabilité du pays.4 Partout dans les quartiers, les villages, les campagnes, en mer, aux bords des fleuves, au fond des mines, les communautés en conflit expriment depuis longtemps, sans discontinuer, leurs sentiments d’être exclues, d’être mises à la marge des systèmes de gouvernance, d’être spoliées, d’être mises au banc des cercles de prise de décision sur les ressources naturelles. La lame de fond de tous ces micro-conflits localisés demeure et reste la problématique de la gouvernance des ressources naturelles avec ses enjeux d’équité, d’égalité et de justice sociale.5 D’une manière générale, les hommes politiques qui aspirent à gouverner devront désormais intégrer dans leurs grilles de lecture, deux aspects fondamentaux de l’évolution sociologique du Sénégal durant ces deux dernières décennies. Une évolution qui a profondément changé les rapports des populations à l’Etat et à l’autorité. Il s’agit : (1) de la généralisation et du relèvement du niveau d’instruction et (2) de l’avènement de la démocratisation de l’accès aux Techno-logies de l’information et de la communication (Tic).– 1. La généralisation de l’instruction et une meilleure compréhension des enjeux de développement. Il n’existe quasiment plus de communautés ignorantes des vrais enjeux de la gouvernance des ressources naturelles dans les terroirs.Avec la généralisation de l’enseignement, il y a plus d’une vingtaine d’années, des milliers de jeunes Sénégalais ont eu la chance d’aller au collège et au lycée, donc de flirter, un tant soit peu, avec la philosophie. Ils ont acquis les compétences leur permettant de comprendre le sens et le rôle de l’Etat, ainsi que les obligations de l’Etat de Droit.Si nombre d’entre eux migrent vers les villes régionales ou vers la capitale, ils sont encore nombreux à décider de rester avec leurs communautés, avec lesquelles ils entretiennent encore des liens très solides et très forts. Ils participent par leur engagement à l’éveil des consciences dans les banlieues et dans les campagnes. On peut en juger par le foisonnement des mouvements politiques, des associations villageoises et des nombreuses initiatives communautaires qui sont autant de catalyseurs d’énergie qui participent à l’animation des terroirs. Ces formes d’engagement sont à considérer à la fois comme des vecteurs et des dynamiques de changement dont les impacts doivent être mesurés, analysés et intégrés dans les schémas et mécanismes de la gouvernance publique.– 2. Démocratisation et immédiateté de l’accès à l’information L’évolution des moyens de communication, marquée par l’avènement d’un nouveau système de transport interrégional avec les bus «horaires», a facilité les navet-tes villes et campagnes. Les distances sont réduites et le mythe de la ville attrayante s’est effondré.Des rapports «décomplexés» avec la ville, siège de l’autorité politique, se sont établis. Désormais, la ville est apprivoisée et les rapports à l’autorité politique ont fondamentalement mué.C’est avec une fierté non feinte que l’on revendique son statut de «kaw kaw», de «banlieusard», allant même jusqu’à rejeter sa nouvelle citadinité qui, jadis, pouvait conférer un statut envié. Il s’y ajoute le développement des Technologies de l’information et de la communication (Tic) et la généralisation de l’accès au téléphone portable et à l’Internet, qui ont conduit à une large «ouverture de tous sur tout et de tout sur tous» qui fait qu’il est plus jamais nécessaire de réinventer les modes et outils de gouvernance des masses. Dans les chaumières des villages les plus reculés, on y discute des contrats miniers et des concessions de blocs pétroliers et gaziers. Dans les cabanons des pêcheurs, on assiste à des débats d’expert sur les politiques de pêche, la gestion des licences et le pillage des ressources halieutiques en relation avec la condition des acteurs. Autour de la vendeuse de légumes du quartier («Tabalou Ya Ngooné»), on y surprend facilement les bonnes dames en train de conjecturer sur l’inflation, la hausse des prix des denrées et le conflit russo-ukrainien. C’est dire le niveau de conscience politique des citoyens.8 Dans un tel contexte, il est devenu à la fois impératif et urgent de réinventer les modes et systèmes de gouvernance des ressources naturelles. Il n’est plus acceptable de continuer à se limiter au formalisme des principes de bonne gouvernance en les inscrivant dans les dispositifs d’encadrement pour remplir des cases ou renseigner des indicateurs qui alimentent des discours aux antipodes des réalités vécues par les communautés. Les efforts en cours ne suffisent pas apparemment si l’on se fie aux rendus du terrain.9 Les hommes politiques de tous bords, dirigeants et opposants, doivent désormais prendre conscience du changement intervenu dans le profil et le niveau d’exigence du nouveau citoyen avec lequel ils devront désormais traiter. Un Sénégalais qui a des aspirations comme : le respect des principes de transparence, d’équité, d’égalité et de redevabilité. Pour ces citoyens de type nouveau, l’aspiration est celle d’avoir des leaders avec qui ils pourront sceller un nouveau pacte sur l’altérité. Ces citoyens ne réclament en réalité qu’une seule et unique chose, que les politiques acceptent enfin de jouer cartes sur table. En effet, jouer cartes sur table demeure la seule garantie de légitimité politique et de re-légitimation de l’action publique.
Souleymane DIALLO
dialojules@