Décollage imminent pour Juice en direction de Jupiter et ses lunes glacées
Ce jeudi 13 avril, à 12h15 TU, une fusée Ariane 5 va s’envoler depuis le centre spatial guyanais à Kourou. À bord, la sonde Juice, en partance pour Jupiter.
De notre envoyé spécial à Kourou, RFI
«C’est super cool ! J’ai parfois du mal à y croire ! » À une centaine de mètres de Manuela Baroni, sous la chaleur chaude et humide de la Guyane, Ariane 5 trône fièrement dans son bâtiment d’assemblage. Dans quelques heures, le lanceur européen et la sonde Juice nichée à son sommet vont être déplacés vers le pas de tir.
Polo floqué du patch de la mission, l’ingénieure de l’Agence spatiale européenne (ESA) a les yeux qui brillent : « Depuis toute petite, j’ai regardé les étoiles, et là, je vais avoir une partie de moi qui va voler jusqu’à Jupiter ! » Officiellement, Manuela Baroni est responsable de l’assemblage, de l’intégration et des tests de la sonde. En clair, c’est un peu son garde du corps qui s’assure que tout se passe bien à chaque étape : de la construction au lancement.
Retour en arrière : c’est vers 2007 que l’opportunité d’une mission européenne vers le système de Jupiter commence à être étudié. La plus grosse planète du système solaire a alors déjà été la cible d’une mission de la Nasa, Galileo, et une seconde, Juno, est en cours de préparation.
Étudier l’habitabilité
Mais au-delà de l’étude de la planète en elle-même, les scientifiques sont également intrigués par ses lunes. Elle en possède une petite centaine. Parmi elles, trois intéressent particulièrement : Europe, Ganymède et Callisto. « Il s’agit d’étudier l’habitabilité de ces lunes », explique Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire de l’agence spatiale française (Cnes). Ces lunes sont en effet des mondes glacés : « Nous avons des preuves, ou du moins des arguments forts, pour penser qu’il y a un océan liquide sous leur croûte de glace. Partout où il y a de l’eau liquide dans le système solaire, on se pose la question de la vie. On va donc étudier leur habitabilité. »
Juice, acronyme de « JUpiter ICy moons Explorer », l’explorateur des lunes glacées de Jupiter, est donc mis sur pied. « Mais il faut vraiment faire la différence entre présence de vie et habitabilité », précise Ines Belgacem, chercheuse doctorante au directorat de la science de l’ESA. « Avec Juice, on ne cherche pas la vie, on cherche à savoir si ces lunes ont été ou ont toujours des conditions d’habitabilité. Cela se base sur trois critères. » Le premier est la présence d’eau liquide, elle est d’ores et déjà établie. Il faut ensuite que ces mondes possèdent une source d’énergie.
Dans ce domaine, c’est vers Europe qu’on se tourne : « On sait qu’elle est active », détaille Ines Belgacem. « Sa surface est jeune. On y cherche une chimie particulière, les CHNOPS : carbone, hydrogène, azote [Nitrogen en anglais, d’où le N dans l’acronyme CHNOPS, NDLR], oxygène, phosphore et soufre. Ce sont les blocs de base pour construire les molécules organiques et ce qu’on imagine être la vie au fond des océans. L’énergie, on sait qu’il y en a sur Europe, la question se pose encore pour Ganymède et on sait qu’il n’y en a pas sur Callisto. » Dans la première partie de sa mission, Juice survolera ainsi à plusieurs reprises ces mondes pour tenter de les caractériser, avant de se mettre en orbite autour de Ganymède. « Avec Juice, nous sommes dans la première phase d’exploration de ces mondes glacés », poursuit Francis Rocard. « Après, en fonction des résultats, on pourra penser à la suite, avec une mission qui s’y poserait. Mais ce sera beaucoup plus compliqué techniquement. »
Survol des lunes
Pour obtenir ces résultats, il a donc fallu développer un engin polyvalent, à même de résister au terrible environnement jovien, traversé par les radiations énergétiques émises par la géante gazeuse. Dans la première partie de sa mission, Juice se contentera de survoler les lunes : Europe aura deux passages, Callisto, 21, et 12 pour Ganymède, avant que la sonde ne se mette en orbite autour. « Il y aura un focus sur cette lune très intéressante », détaille Olivier Witasse, responsable scientifique de la mission à l’ESA. « C’est la plus grande du système solaire, elle est plus grande que Mercure. C’est également la seule à posséder un champ magnétique interne, et il y a d’énormes quantités d’eau liquide. » Ganymède possède en effet, elle aussi, un océan d’eau liquide sous sa surface glacée. « Il est à une centaine de kilomètres en dessous », précise Inès Belgacem. « Nous ne sommes donc pas vraiment sûrs de ses interactions avec la surface. On sait qu’il y a tout d’abord de la glace, puis en dessous l’océan, puis à nouveau de la glace, mais à haute pression cette fois. Il y a enfin un manteau rocheux. Ce sont les interactions entre ces milieux que nous voulons mieux comprendre, en tant que potentiel habitat, mais également pour le système en lui-même. »
« Cette mission, c’est quelque chose qu’on voit normalement dans les films ! », sourit Manuela Baroni à Kourou. Après des années de développement, le jour J approche. Au centre spatial guyanais, Juice a été couplée à Ariane 5 en vue du décollage. « La campagne de lancement s’est très bien déroulée. On a eu quelques soucis, mais rien de majeur. Voir notre satellite tout en haut de la fusée, c’est quelque chose de très fort. C’est une histoire qui se termine : on a construit la sonde, on va la lancer, mais c’est aussi une tout autre histoire qui commence pour les scientifiques. »
Une fenêtre de lancement à la seconde près
Avant cela, il y a encore plusieurs étapes majeures à franchir. Le lancement en premier lieu, le 116e d’Ariane 5, l’avant-dernier avant la retraite et le relais pris par Ariane 6 en 2024. Juice perpétue ainsi la tradition des grandes missions scientifiques lancées par la fusée européenne, dont le point d’orgue a été le James-Webb Space Telescope, le 25 décembre 2021. « Il y a cependant une particularité », note Daniel de Chambure, responsable d’Ariane 5 pour l’ESA à Kourou. « Nous avons en effet une fenêtre de lancement de 0 seconde. C’est-à-dire que si on dépasse ne serait-ce que d’une seconde, on sera obligés de reporter. » Juice devant aller à la rencontre d’une planète tournant autour du Soleil, il n’y a en effet pas de marge possible.
« On l’a déjà fait, il n’y pas de soucis avec ça. Mais c’est vrai qu’au moindre problème dans le décompte, on n’aura pas le temps de le régler, il faudra repousser au lendemain. » Ainsi, si tout se passe comme prévu, le jeudi 13 avril, à 12 heures 15 minutes et 01 seconde tapantes, Jean-Luc Mestre annoncera au micro le tant attendu « Décollage ! » C’est lui qui fait office de directeur des opérations (DDO) au centre de contrôle Jupiter.
Les 55 mètres d’Ariane 5 s’élèveront dans le ciel de la jungle guyanaise, propulsée par son moteur Vulcain II et ses deux propulseurs d’appoint à poudre. Il ne faudra que vingt-sept minutes et quarante-quatre secondes pour que Juice soit ensuite libérée dans l’espace, en route vers Jupiter. S’ensuivra une croisière de huit ans avant que la sonde ne rejoigne sa destination. Ariane 5 n’est en effet pas assez puissante pour propulser Juice directement vers Jupiter. La sonde va donc prendre les chemins de traverse : elle survolera ainsi trois fois la Terre et une fois Vénus durant son périple afin de bénéficier de leur assistance gravitationnelle. Ces survols agiront alors comme une fronde, faisant augmenter la vitesse de la sonde jusqu’à la propulser vers le système jovien.
L’arrivée est prévue en juillet 2031. Ce n’est qu’alors qu’elle pourra commencer ses opérations scientifiques. Ces dernières devraient durer au minimum quatre ans, dont près d’un an en orbite à 500 km d’altitude autour de Ganymède. Ce sera alors la première fois qu’une sonde effectuera une telle manœuvre autour d’une lune autre que celle de la Terre. Juice finira enfin sa mission lors d’un crash contrôlé sur Ganymède. Elle nous aura entre-temps fourni des éléments clefs et de nombreuses pièces du puzzle pour répondre à l’éternelle question de l’éventuelle apparition de la vie ailleurs dans le système solaire.
SOURCE RFI