Keur Niang à Touba: Magal sous les eaux!

Des maisons entières abandonnées, des commerces fermés…, au quartier Keur Niang de Touba, les inondations ont rendu difficile la célébration du grand Magal de Touba. Malgré les gros efforts fournis par l’Etat, particulièrement dans ce quartier, les eaux de pluie ont envahi plusieurs dizaines de maisons obligeant habitants et leurs hôtes à trouver refuge. 

Yoro Diop, 70 ans, est père de famille, habitant le quartier Keur Niang, depuis novembre 2005. Confortablement installé sur sa chaise pliante au niveau de la terrasse d’un bâtiment R+2, cet ancien Modou-Modou est en train de réciter une pile de ‘’Xassidas’’ (poèmes) de Cheikh Ahmadou Bamba, qu’il garde jalousement dans ses deux mains tremblantes. Onze (11) heures passées, ce dimanche 3 septembre, il profite d’un vent frais qui s’est déjà emparé des lieux. Lui et sa famille ont trouvé refuge dans cette vieille bâtisse, dont le rez-de-chaussée est complètement envahi par les eaux de pluie. « Nous célébrons le Magal pour rendre un hommage mérité à notre guide spirituel et vénéré Serigne Touba Khadim Rassoul », lâche-t-il, l’ex-émigré, entouré de trois de ses enfants (deux filles et un garçon). « Malgré les conditions difficiles dans lesquelles nous vivons, nous comptons préparer des ‘’berndé’‘ (repas), lire le Coran et réciter les écrits de Serigne Touba, le sens même du Magal », jure-t-il, la voix rauque.

Célébrer le Magal avec dignité

Dans une pièce située au fond du couloir, trois dames sont autour d’un fourneau. C’est la cuisine. Yoro, ses deux épouses et ses enfants ont abandonné leur maison, acquise au début des années 2000, depuis la troisième pluie de l’hivernage. « L’eau a complètement envahi ma maison », dit-il, montrant au bout des doigts deux bâtiments situés à environ 300 mètres de là. Dans l’intimité de cette grande concession, dont le mur de clôture est à moitié démolie par les eaux, ils ont laissé habits, matériels électroniques et autres biens. « Cette nuit-là, l’eau nous a surpris dans nos chambres et le lendemain, on a été obligés de trouver une solution », raconte ce vieux. Il reconnaît, tout de même, que celle que lui a prêtée un de ses amis, n’est pas en sécurité, mais…, pas de choix.

Pour y accéder, il faut inéluctablement passer dans les eaux… « C’est la dernière pluie d’avant-hier (vendredi, ndlr), qui a aggravé la situation. Toutes les pièces du rez-de-chaussée sont inondées », ajoute-t-il.

Mais la famille Diop n’est pas la seule à vivre cette situation pénible. Dans ce populeux quartier, niché entre le marché Ocass, Touba Mosquée et Gare Bou Mag, le décor est sinistre : des lots de maisons entiers abandonnés, des flaques d’eau verdâtres par-ci, des bâtiments démolis par-là…Les dernières précipitations, qui se sont abattues sur la ville sainte, sont passées par là. 

« C’est très difficile. Vous constatez vous-même notre peine », pleure, Aida Sall, mère de famille. Sous une hutte de fortune, qui leur sert d’abri, elle est en train d’écumer des poissons dans un petit bol. Marchande de profession, Aida habite dans ce quartier depuis 2009. Leur maison est contiguë à celle qu’ils habitent actuellement. « La nôtre est sous les eaux, même le mur de clôture est devenu invisible. C’est invivable », confie la jeune dame, avec soupir. Ici, l’eau est verdâtre, tel un tissu d’art. « Ces eaux que vous voyez là sont là depuis le dernier hivernage », renchérit son époux. Bara Fall dit avoir aménagé cette hutte pour y vivre avec sa famille.

Pour ce Magal, il reconnaît ne pas pouvoir le célébrer comme avant. « On essaie juste de tout faire pour sacrifier à la tradition, mais Dieu sait que c’est difficile », ajoute-t-il. A l’en croire, cette année, ils n’ont aucun invité. « Nos proches, qui avaient l’habitude de passer la fête chez nous, ont compris notre situation, c’est pourquoi, personne n’est venu. Mais beaucoup d’entre eux nous ont téléphoné pour s’enquérir de la situation », explique ce menuisier métallique, âgé de 45 ans, visiblement très occupé à évacuer à l’aide d’un seau vert, les eaux ruisselantes. « Demain (lundi, ndlr), nous allons célébrer le Magal en famille avec dignité, jusqu’à la limite du possible », embraye-t-il, le visage enveloppé par la sueur.

« Serigne Touba a vécu pire que les inondations »

Non loin de là, Abdoulaye Diop nous intercepte, ayant certainement une idée de l’objet de notre visite. Il est rentré la nuit dernière de Kaolack où il travaille en tant que boulanger pour passer la fête chez sa mère. Mais pour franchir la grande porte, il faut d’abord bien se tenir debout sur une dizaine de sacs de sable posés de manière dispersée à la devanture. Un enfant d’environ 4 ans sur les épaules, l’homme, 50 ans révolus, ne cache pas sa désolation. « C’est extrêmement difficile. Au bout du fil, on me racontait tous les jours la situation, mais là je viens de m’en être certain, j’avoue que c’est très difficile et stressant », regrette Abdoulaye. Cependant, il révèle avoir accueilli pas moins de 15 hôtes, venus de diverses localités du pays, pour célébrer le Magal avec eux. « Cela ne va pas nous empêcher de rendre hommage à Serigne Touba, parce que ce dernier a vécu pire que les inondations », fait-il savoir, ajoutant que ses invités, tous des parents très proches, ont bien compris la situation.

A l’angle de la rue d’en face, Modou Niang, lui, s’affaire aux derniers réglages avant le jour-j. Il caresse le terreau attaché sous un grand arbre. Mais ce boutiquier est beaucoup plus chanceux que beaucoup de ses voisins de quartier. « C’est seulement la rue qui est inondée, la porte de ma concession est encore accessible », sourit-il, rendant grâce à Dieu. Mais, Niang éprouve de la peine pour les nombreuses familles de Keur Niang victimes des inondations. Il indique que beaucoup d’habitants ont été obligés de quitter le quartier même pour aller passer le Magal chez leurs proches établis dans d’autres contrées de la ville. « D’habitude, à la veille du Magal, le quartier était bondé de monde. Les charrettes, voitures et piétons se partageaient inlassablement cette grande ruelle qui relie Keur Niang au marché Ocass. Mais, aujourd’hui, seules les eaux stagnantes campent le décor », fait notamment observer Modou Niang.

A peine sa phrase terminée, Cheikh Niang, son ami et voisin, le coupe et crie au secours : « On ne vit plus ! » Poursuivant, il admet, cependant, que le bassin de rétention de Keur Niang a permis d’amoindrir les dégâts, mais il y a un hic. « Après chaque forte pluie, l’eau déborde et se déverse dans nos maisons, c’est ce qui fait que des centaines de familles ont déserté le quartier », raconte-t-il, l’air dépité.

Face à la situation critique, le jeune Mame Gor Diagne et ses amis ne restent pas les bras croisés. En plus des équipements fournis par l’Onas (Office national de l’assainissement du Sénégal), ils se sont mobilisés pour, disent-ils, « sauver ce qui risque encore » de leur bourgade historique. « On a fait des quêtes pour pouvoir s’acheter ce groupe et les racoles à hauteur de 800 mille F Cfa afin de contribuer à la lutte contre les inondations », lance-t-il. Il appelle les autorités étatiques à démultiplier les efforts à Keur Niang. « Nous savons que l’Etat à travers l’Onas, est en train de faire beaucoup d’efforts, mais il faut qu’ils continuent à nous venir en aide, parce que nous en avons vraiment besoin », plaide ce marchand ambulant, qui a de côté ses activités professionnelles le temps du magal en vue de rendre son quartier vivable.

Salla GUEYE (Envoyé spécial)

LESOLEIL

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *